Le débat entre les tenants de la shareholder value et les défenseurs de la stakeholder value a été très nourri : fallait-il tenir compte d’une entreprise dans tout son environnement (social, économique et environnemental) ou tenir compte uniquement des actionnaires. À l’époque, la réponse fut tranchée : les actionnaires sont les propriétaires et c’est à leur seul service que se trouve l’entreprise. Dès lors, il s’agit de les rémunérer le plus possible, trimestre après trimestre, aux dépens parfois de la vision à long terme ou de l’analyse d’ensemble.
Vu d’aujourd’hui, cette victoire capitaliste « dure » paraît incroyable. L’époque était bien différente et on parlait alors de marchés financiers qui montaient aussi vite que les taux d’intérêt baissaient. D’où la présence de nombreux opportunistes parmi les détenteurs d’actions qui cherchaient à toucher une plus-value aussi rapidement que possible, avant de chercher ailleurs la nouvelle bonne affaire. Il fallait aller vite.
Plusieurs crises sont passées par là et la prise de conscience que les entreprises et le monde sont interdépendantes ont amené une évolution des points de vue. Il a fallu beaucoup de persuasion, beaucoup de formation, d’analyses, d’encre et de salive pour en arriver là. Aujourd’hui, il ne vient à l’idée d’aucun expert de négliger l’attitude d’une entreprise face à l’environnement ou face à sa responsabilité sociale en en faisant l’évaluation. Mais pourquoi au fait ?
L’entreprise est un échelon essentiel de la société. Elle ne s’inscrit pas seulement dans une logique de production ou de satisfaction des besoins. Une entreprise est composée de capital et d’hommes qui s’inscrivent dans un environnement social et naturel : cela paraît si évident aujourd’hui que l’on se demande comment on a pu longtemps l’oublier. On peut voir l’entreprise comme l’échelon de l’organisation sociale situé juste au-dessus de la famille. Il y a l’individu, la famille, l’entreprise, la communauté, le pays et le monde.
Tout cela intègre l’échelon précédent sans qu’il y ait une coupure entre les deux. L’entreprise fait partie du monde. C’est un truisme mais la conséquence l’est moins : l’entreprise a une influence directe sur le monde. Il est d’ailleurs tout à fait récent de pouvoir le mesurer, ce qui explique pourquoi on l’avait si longtemps ignoré.
Cette nouvelle dimension sociale et environnementale de l’entreprise implique une responsabilité accrue. Si l’on sait quelle influence on peut avoir à la fois sur les employés et sur la communauté dans laquelle on vit, cela multiplie le poids des obligations. Du coup, il faut faire en sorte non seulement de satisfaire les employés (pour les fidéliser et qu’ils travaillent mieux), mais encore le faire en impactant le moins possible sur l’environnement et en ayant une valeur ajoutée aussi pour la municipalité (par exemple en payant des impôts).
Mais – comme disent les tenants américains du marketing – « what’s in it for me ? » Car les belles généralités théoriques sont une chose, mais on ne vit pas d’air et d’idées… Eh bien justement, oui. Et c’est la force de cette approche de l’entreprise. Elle met en avant le fait qu’on ne vit pas seulement d’un salaire ou d’un dividende. Car s’il manque la dimension éthique et globale, on ne peut de nos jours plus espérer avoir un revenu qui dure, ni s’en satisfaire.
La responsabilité est lourde et le défi pour l’entreprise, de taille. Mais l’enjeu est à long terme et les bénéfices aussi.